En finir avec le narcissisme de l’écrivain

Sophie Gauthier
4 min readJun 26, 2021

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Chaque être humain mûrit sur tous les aspects de sa vie et ce tout au long de son existence, à un rythme qui lui est propre et bien souvent de manière décalée.

Certaines personnes par exemple, vont acquérir une grande maturité logistique, devenant indépendants financièrement très tôt et seront capables d’affronter les soucis administratifs, tandis que leur maturité émotionnelle restera en berne et ils demeureront longtemps incapables de maîtriser leurs pulsions. D’autres obtiendront une maturité intellectuelle dès le plus jeune âge, pontifiant sur tous les sujets, tandis que leur maturité affective traînera derrière, les obligeant à la dépendance amoureuse, incapables d’affronter la solitude d’une seule nuit.

Ces différents degrés de maturité dépendront de l’éducation, des traumatismes, de la culture et des expériences vécues au quotidien.

Mais s’il existe une évolution qui demeure tardive pour la plupart d’entre nous, c’est bien celle du narcissisme. Cette faille humaine, inhérente à la survie, permet au petit enfant de se construire dans un sentiment de sécurité. En effet, si le monde n’existe que pour tourner autour de lui, il est assuré d’être nourri chaque jour à sa faim, de ne pas être abandonné et d’évoluer dans un environnement qui prendra soin de lui. La moindre défaillance de ses éducateurs créera une faille dans ce narcissisme primaire, une crainte qui perdurera, si elle n’est pas traitée d’une manière ou d’une autre, toute sa vie.

Le narcissisme deviendra alors pathologique et, si la société s’en accommode fort bien, la création artistique, elle, exige un travail douloureux sur cette faille. Certains artistes deviennent reconnus tôt et obtiennent par la célébrité une satisfaction narcissique qui viendra combler cette faille et leur permettra d’avancer. Souvent, ces personnes ont eu l’occasion précoce d’être éduqués à leur art dès le plus jeune âge. La pratique assidue, nécessaire à l’accomplissement, s’est faite par une certaine forme de coercition éducative, de la part des parents et des professeurs.

Mais la plupart d’entre nous ont eu des parents normaux, qui rêvaient vaguement de nous voir devenir Mozart ou Einstein, revoyant chaque jour à la baisse leurs expectatives, passant par l’espoir de nous voir réussir nos études pour en arriver à simplement attendre les nouveaux petits enfants que nous leur fournirions pour qu’ils puissent enfin se permettre d’aimer inconditionnellement.

L’aspirant écrivain est le rejeton d’une telle éducation et sa faille narcissique est aussi ample que la vacuité de son talent. Car l’aspirant écrivain n’a peu ou rien pratiqué de manière assidue et souffre un peu plus chaque jour de ce manque de reconnaissance. Ce manque-là est justement ce qui produit son état légèrement dépressif constant, ce qui l’empêche de trouver l’énergie pour pratiquer. Oui, c’est terriblement injuste.

Alors, comment en finir avec cette faille narcissique qui permettra enfin à l’écrivain de se lancer dans la pratique imperturbable de l’écriture ?

Ne plus chercher l’amour

Dans notre esprit s’est créé une table ronde, dont le roi est notre besoin et les chevaliers toutes les actions entreprises dans une quête effrénée de reconnaissance, de validation et d’admiration. Virez ce roi de la table et libérez une énergie (et un temps) considérable.

Lorsqu’on écrit, on doit avoir plusieurs buts :

  • Exprimer quelque chose (idées, perceptions, émotions…)
  • Satisfaire un lectorat
  • Être un bon écrivain

Si vous y ajoutez : être merveilleusement génial de telle sorte à ce que tout le monde m’aime et comble enfin ce besoin d’attention, vous réveillez le roi. Rappelez-lui qu’on l’a viré du trône et reprenez les rênes.

La prise de conscience

Pour se permettre d’avancer, il faut se reconnaître comme nul dans ce qu’on fait. Nul ne signifie pas “être nul de naissance en tant qu’être humain, indigne d’amour et méritant le mépris”, mais juste “nul dans une certaine discipline”.

Vous pensez avoir un talent immense et une fibre artistique fabuleuse ? Génial, mais tant que vous n’écrivez rien, ni ne pratiquez, vous possédez un talent immense et une fibre artistique fabuleuse tout en étant nul. C’est dichotomique et la dichotomie crée des vagues de magma qui viennent s’engouffrer dans le canyon de votre narcissisme et vous êtes bien plus proche de la bipolarité que du génie. Alors, apaisez ce désir furieux d’être porté aux nues et respirez un grand coup : vous êtes nuls et il n’y a rien de grave, car c’est justement la condition ultime du progrès véritable.

Vous voici enfin capable de poser un pied dans la direction de la maîtrise. (Jusqu’ici vous sautiez sur place en criant “Je suis génial !”).

Se détourner de soi vers l’autre

Il existe deux formes d’écriture très distinctes, que l’on rencontre autant chez l’amateur que chez l’écrivain professionnel (car comme je vous l’ai dit plus haut, la société s’accommode fort bien du narcissisme et la pratique coercitive permet une certaine progression, qui ne débarrasse pas forcément du narcissisme, si vous n’avez rien compris, demandez-moi dans les commentaires) et ces deux formes sont les suivantes :

  1. L’écriture vers soi
  2. L’écriture vers l’autre

L’écriture tournée vers soi-même semble dire tout au long de la narration : “Regardez comme j’écris bien.” Et malheureusement, il existe un public français pour ce genre d’écrits cabotins et ils sont déguisés en intellectuels (vous les remarquerez par le fait qu’ils ferment leurs yeux en parlant, car ils aiment passionnément s’écouter).

Tandis que l’écriture tournée vers l’autre, que l’on rencontre chez les écrivains amateurs, comme professionnels, de tous les genres et sous-genres, raconte des histoires et leurs lecteurs plongent dans leurs écrits en oubliant le monde autour d’eux.

Car l’écriture, c’est cela, une distraction (merveilleuse et savante) pour les lecteurs. Il ne s’agit pas de vous, ils s’agit d’eux.

Alors que faire ?

Une seule chose : s’y coller et pratiquer. Il faut dix mille heures de pratique pour maîtriser un sujet. Lancez le chrono.

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